top of page

 

Les autismes...

 

     " L’autisme est une entité diagnostique composée d’une myriade de sous-groupes de types d’autisme, avec une origine complexe, multifactorielle, hétérogène. Faudrait-il donc, dans ce contexte, et tant qu’une approche pharmacologique personnalisée n’est pas offerte, imaginer pour tous une prise en charge identique ? On devrait penser que, même dans les affections génétiques identifiées, comme la trisomie 21, le syndrome du X-Fragile, la médecine propose, et le patient (et/ou ses parents) dispose, selon les symptômes, souffrances, inconforts et difficultés associées. A une époque où le paternalisme médical a été balayé, au profit d’un dialogue soignant—patient, il faut œuvrer pour la mise à disposition par le système médical et social de possibilités variées d’aides au développement, de soins et de prises en charge."

     Docteur Ariane Giacobino

            Généticienne

    Extrait du livre paru en août 2O16 aux éditions Erès, sous la direction de Patrick Sadoun et Françoise Rollux :

    " Le spectre autistique trouble-t-il la raison de ceux qui l'approchent ? "

Autisme : Remise en question des représentations dominantes actuelles

 

Brigite Chamak

 

Sociologue, CERMES3, Centre de Recherche Médecine, Sciences, Santé, Société (INSERM U988 - CNRS UMR 8211 – EHESS) Université Paris Descartes, 45 rue des saints-pères 75006 Paris[ps1] 

 

Extrait du livre : « le spectre autistique trouble-t-il la raison de ceux qui l’approchent ? »

 

 

Les représentations dominantes de l’autisme véhiculées par les media et certaines associations de parents sont à interroger. Les affirmations selon lesquelles l’autisme serait un handicap d’origine génétique impliquant un trouble du développement neurologique, dont la fréquence est en augmentation et qui nécessite des méthodes comportementales intensives qui ont fait leur preuve sont à relativiser compte tenu de l’hétérogénéité de ce qui est qualifié aujourd’hui d’autisme. L’engouement pour les méthodes comportementales intensives est également à questionner au regard des recommandations actuelles publiées dans différents pays qui les ont utilisées pendant longtemps.

Le guide de recommandations britanniques du National Institute for Health and Care Excellence (NICE, 2013) pose en préambule que, contrairement à certaines affirmations, il n’y a pas de remède à l’autisme mais précise qu’il existe des interventions qui peuvent aider à traiter certains symptômes, comportements et problèmes associés à l’autisme. La première des recommandations concerne l’accès aux services de santé, l’accès aux services sociaux et l’aide aux familles. Il s’agit aussi d’adapter l’environnement physique et social (fournir des supports visuels pour favoriser la compréhension, assurer un minimum d’espace, prendre en compte les particularités sensorielles individuelles), procurer des interventions psychosociales par des équipes multidisciplinaires qui permettent de mettre en place des stratégies basées sur le jeu avec les parents et les enseignants pour augmenter l’attention conjointe et la communication, anticiper les problèmes des comportements en traitant les douleurs physiques et les problèmes de santé mentale associés (anxiété, dépression, hyperactivité, etc.) en s’assurant de la bonne compréhension des situations, en évitant les changements de routine ou en les préparant, en favorisant les activités de loisirs, et en empêchant les abus exercés sur les enfants ou les adultes.

Ces recommandations impliquent donc un ensemble d’interventions coordonnées et non une méthode unique. Les affirmations d’efficacité des méthodes comportementales intensives précoces ont été remises en question considérant qu’elles reposaient sur des études initiales méthodologiquement faibles, avec une sélection des enfants moins sévèrement atteints, et dont les résultats à long terme n’étaient pas évalués (AHRQ, 2011, Warren et al., 2011). Au Danemark, une étude comparative de Kjeld Høgsbro qui a évalué quatre programmes préscolaires différents pour enfants autistes a montré que les moins bons résultats étaient obtenus avec l’approche ABA (en termes de QI, de compréhension du langage, d’habilités sociales). Par contre les attentes des parents et la satisfaction des parents étaient supérieures.

Contrairement à l’image idyllique qu’en donnent certaines associations, les approches comportementales peuvent générer de la maltraitance et déclencher des effets secondaires. Un rapport de l’ARS (2012) sur un centre comportementaliste qui était cité en exemple, en souligne les failles (manque de circulation d’information, insuffisance de contrôle de l’organisation du travail, insuffisance de supervision des pratiques professionnelles, absence de formalisation des protocoles de gestion des situations de crise, absence de partenariat avec d’autres structures ou professionnels de santé, absence de démarche de prévention et de lutte contre la maltraitance). De même, le rapport de l’IGAS (2014) sur une association qui gère des structures expérimentales ABA financées dans le cadre du plan autisme, révèle que l’organisation, la gestion et le fonctionnement ne sont conformes ni au dosser d’autorisation déposé par le gestionnaire, ni au projet d’établissement, ni au cahier des charges national.

Influencées par la publicité pour les méthodes comportementales intensives, plusieurs associations de parents se mobilisent pour les imposer en France alors même que les pays qui y ont fait appel pendant des années questionnent la pertinence de ce choix. En France, les mauvaises pratiques sont citées en exemple pour discréditer les structures publiques et le marché privé de l’autisme se développe. Pourtant, le film de Bernard Richard réalisé en 2014, Les enfants de la rose verte, qui décrit le fonctionnement d’une équipe dans un hôpital de jour à Alès, illustre la spontanéité, la créativité et la disponibilité des soignants dans leur relation avec les enfants et les parents. Les témoignages des parents insistent sur la qualité de l’accueil qui leur a été réservé. Ils expriment leur reconnaissance et soulignent les progrès de leur enfant. La vision caricaturale des hôpitaux de jour, diffusée par certaines associations de parents et par les médias, ne rend pas justice au travail de fond qui est réalisé dans certaines de ces structures.

Les recommandations françaises actuelles qui préconisent les méthodes comportementales intensives se trouvent en décalage avec les remises en questions actuelles en provenance des pays qui en ont l’expérience depuis de nombreuses années. Par ailleurs, les politiques qui visent à favoriser le rôle accru des « aidants naturels » aboutit à augmenter la charge des parents qui doivent quitter leur travail et se former pour s’occuper de leur enfant ou dépenser des fortunes. L’Etat incite les citoyens à initier des actions pour trouver des solutions à leurs problèmes et seules les initiatives sélectionnées peuvent être financées. Ainsi, les pouvoirs publics peuvent orienter et contrôler tout en ne créant pas de structure pérenne. Ils financent des organismes privés de formation qui obtiennent des quasi-monopoles pour former les professionnels et les parents. Des parents, convaincus des bienfaits de l’ABA, deviennent des professionnels de l’autisme (ou plutôt des professionnels de l’ABA). Les autres, ceux qui n’ont pas les codes sociaux et culturels nécessaires et qui cherchent vainement de l’aide, se trouvent en grande difficulté. De plus, les formes d’autisme les plus sévères trouvent encore moins de solutions parce que les enfants sont rejetés par le système scolaire et même par les structures spécialisées qui, elles aussi, veulent obtenir de bons résultats pour en faire état auprès des pouvoirs publics et obtenir, à nouveau, des financements.

En conclusion, les orientations actuelles ne semblent pas répondre aux besoins spécifiques des enfants, des adolescents et des adultes autistes, pour lesquels les structures adaptées manquent cruellement et la charge accrue pour les parents rend plus difficile encore la vie familiale et professionnelle sauf quand les parents deviennent eux-mêmes des professionnels de l’autisme.

 

bottom of page